Année 2024-2025

Nouvelle fantastique par Ikram Ben Sallam

L’année dernière, ma grand-mère mourut. Ce jour-là, submergé par la tristesse, je retournai dans son ancien manoir. Immense et silencieux, il semblait abandonné par le temps.
Dès que je franchis le seuil, une odeur de bois humide et de poussière m’envahirent. Tout était figé, comme si personne n’avait touché aux meubles depuis des années. L’air était lourd, presque oppressant. Mon regard fut attiré par un vieux jeu d’échecs posé sur une table. Intrigué, je m’approchai. Ma grand-mère m’avait appris à y jouer ici même et j’avais toujours perdu contre elle.
Pris d’un élan de nostalgie, je m’installai et avançai un pion. A cet instant, un courant d’air glacé traversa la pièce. Le calier noir bougea seul. Je retins mon souffle. Avais-je rêvé ? Puis, une voix grave résonna, mais elle venait de nulle part…où peut-être de l’échiquier lui-même ?
« Le fou en E5. »
Un frisson me parcourut. Je voulus bouger, mais mon corps refusa d’obéir. Et soudain, je fus projeté en avant. Mes pieds glissèrent d’eux-mêmes, sur le sol. C’était une case d’échiquier, une case noire. J’étais en E5.
Un silence oppressant tomba. Mon cœur battait à tout rompre.
Je baissai les yeux sur mon corps. Ma main trembla, sauf que ce n’était plus une main. Ma peau avait disparu. J’étais sculpté dans un bois froid et lisse. Une cape rigide tombait sur mes épaules. Je compris. J’étais un fou.
Un autre coup retentit dans le lointain. Quelqu’un d’autre venait d’être déplacé. Puis une voix, distante, moqueuse, souffla :
« A toi de jouer. »
Un vertige me saisit. Tout devint noir. Je me réveillai brusquement, assis devant l’échiquier. Le manoir était là, immobile, silencieux.
Avais-je rêvé ? Mon regard tomba sur le jeu. Le fou noir était en E5.

Nouvelle fantastique par Kahina Bouaouli

Julien vivait avec sa mère dans un petit appartement. Sa chambre était minuscule: un lit contre le mur, un bureau en désordre et une vieille armoire. Ce matin-là, il se réveilla en retard et sa mère n’arrêtait pas de lui crier qu’il allait rater son bus. Il souffla et se leva rapidement.
En attrapant son pull, il remarqua l’état catastrophique de ses cheveux. Il se dirigea donc dans la salle de bain afin de se coiffer. Il ouvrit le tiroir dans lequel il y avait son gel habituel, mais ne trouva qu’un seul flacon noir, sans marque. En aucun cas, il se souvenait de cet achat. Mais, comme il n’avait ni le temps, ni le choix, il en mettrait.
Julien dévissa le bouchon et appliqua la pâte sur ses cheveux. Lorsque le gel toucha son cuir chevelu, il sentit un frisson glacial lui parcourir la nuque. Il se regarda dans le miroir et vit ses cheveux figés comme de la pierre. Perturbé, il recula légèrement, mais quelque chose d’encore plus étrange se produisit. Son reflet ne bougeait pas, mais souriait. Puis il sortit sa main et attrapa le poignet de Julien. Le garçon hurla mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il se retrouva de l’autre côté du miroir, dans une pièce identique à la sienne. Il se retourna et vit son double maléfique dans la vraie salle de bain sourire puis s’éloigner. Le prisonnier frappa désespérément la vitre, mais tout était silencieux. Il comprit alors, horrifié…il était piégé, tandis que son reflet était libre.

Nouvelle fantastique par Néma Mercier

Je l’ai vu arriver dans la classe, yeux baissés, pieds qui traînent. Il a l’air faible, presque transparent. Dès
qu’il a passé la porte, tout le monde s’est retourné. Moi, je me suis contenté de le fixer. Ce bras caché sous
sa manche trop longue, c’était comme un drapeau, un signal : « Ayez pitié de moi ».
Et ils l’ont fait. Tous. Des regards doux, des sourires forcés.
Comme s’il fallait l’aimer par défaut. Mais pourquoi ? Il n’avait rien dit, rien fait. Il était juste…différent.
Handicapé. Et ça suffisait pour qu’on le traite comme un roi.
Quand il s’est assis, son voisin s’est empressé de l’aider. Il a sorti ses cahiers pour lui, comme
si le pauvre était en sucre. Ça m’a retourné. Pourquoi personne ne me regarde comme ça, moi ?
Pourquoi faut-il être abîmé pour exister ?
Chaque jour, il devenait un peu plus populaire, juste parce qu’il lui manquait un morceau. C’était injuste.
Moi aussi j’ai mal, parfois !
Alors j’ai décidé. Lentement. Un cahier qui tombe, un casier qu’on vide discrètement. Il ne disait rien à
personne, il encaissait. Ça m’allait.
Deux semaines plus tard, ses affaires sont au sol, son casier en pagaille et ses habits déchirés. Il pleure
dans les toilettes. Moi, je souris. J’ai enfin repris ma place. J’ai gagné.

Enfant de Guerre par Lilas-Rose

Un jour de rentrée, alors qu’une nouvelle année débutait, la vie d’un garçon a été bouleversée. Je me rappelle de ce jour comme si c’était hier et j’étais si pressé de voir dans classe je serais. Comme je suis son ami, je me dois de vous raconter son histoire.
Un jeune syrien âgé de juste dix ans a subi la guerre en la Syrie et la Jordanie, le 20 juillet 1997. Ce garçon ne parlait pas ma langue, il utilisait seulement l’arabe. D’après ma copine qui avait construit de forts liens amicaux avec lui, il avait dit qu’il avait dû fuir son pays le 9 août 1997. Il avait perdu toute sa famille : son père, sa mère, ses trois sœurs et ses deux frères. Il avait été placé en famille d’accueil, après plus ou moins un mois dehors en Syrie. Il avait du mal à communiquer, mais ma copine était tunisienne et savait parler l’arabe.
Au départ, il restait seul dans la cour, le travail et même avec sa nouvelle famille, il ne s’exprimait pas. Il était encore terrifié. Parfois, ma copine Selma l’entendait dire en arabe qu’il allait se suicider, mais il ne le faisait pas pour une raison religieuse.
Ce jeune syrien se nommait Nassim et subissait du harcèlement scolaire. Certaines personnes de ma classe l’insultaient et le menaçaient, mais il se souvenait d’une phrase venant de son père et de sa mère.
Un soir, après l’école, lorsqu’il voulut aller à la mosquée, les personnes qui le harcelaient le suivirent. Ma copine Selma voulut intervenir. Malgré la peur, elle alla voir Nassim et lui parla en arabe. Elle lui dit :
« Ma Asmuk ? [comment tu t’appelles ?]
-Asmi Nassim [je m’appelle Nassim] », répondit-il.
De jour en jour, de semaine en semaine et de mois en mois, ils devinrent amis. Je voulais aussi être son ami, mais je ne savais rien de la langue arabe. C’était bientôt la fin de l’année et Selma enseignait à Nassim le français. Même s’il avait du mal, elle lui disait toujours « aniha jayida » [c’est bien].
Je voulais communiquer avec lui, même s’il ne parlait qu’à Selma. Il fallut des mois pour qu’ils deviennent de vrais amis. Je voulais tenter ma chance. J’essayai alors d’apprendre l’arabe. J’avais l’ambition de réussir. J’étais une française pure souche et j’avais du mal avec les prononciations. Je savais que si je me donnais à fond, je pouvais réussir. Après des mois d’entraînement, j’allai voir Nassim et je me présentai par ces mots :
« Ismi Leila [Je m’appelle Lilas]
eumari eashr sanawat [j’ai dix ans]
hal turid ‘an takun sadiqi ? » [veux-tu être mon ami ?]
Il répondit :
« naema, ‘arghab fi dhalika. » [oui, je veux bien]
Puis avec un grand sourire il affirma :
« Tu as l’air cool ! « 
Grâce à Selma, il arrivait désormais à s’exprimer un peu en français.
Aussitôt, je lui répondis et après avoir fini de discuter avec lui, je me sentis mieux. Le harcèlement s’était arrêté car Selma s’était dirigée vers la directrice et elle avait expliqué les difficultés auxquelles Nassim était confronté. Je lui disais que tout allait s’arranger.
Les harceleurs furent exclus et les parents de Selma adoptèrent Nassim car il se faisait maltraiter. Les Romeses étaient sa famille d’accueil. Ils demandaient à Nassim de devenir chrétien pour vraiment être inclus. Il leur répondait alors avec conviction : « Non, je ne veux pas. »
Les Romeses laissèrent Nassim sans nourriture ni eau pendant des jours parce que chaque jour, il y avait la même question la même réponse. Ce jeune syrien aurait pu mourir drogué ou il se serait vraiment suicidé. Grâce à Selma et moi, cela ne se produisit pas. Les parents de Selma considéraient Nassim comme leur propre fils. Même si les harceleurs étaient partis, certains garçons lui disait :
« Pourquoi tu restes qu’avec les filles, hein ? »
Nassim se fichait des moqueries.
Aujourd’hui, on est le 9 février 2025 et je n’oublierai jamais Nassim. Pourquoi cela ? Parce qu’il y a quatre heures, Selma m’a annoncé son décès. Il a accompli beaucoup de choses dans sa courte vie. Il a fait arrêter sa famille d’accueil pour maltraitance et c’était un bon élève quand il était jeune. Malheureusement, il était asthmatique car il avait reçu beaucoup de poussière pendant la guerre en Syrie. C’était un médecin, hier. Un homme au bon coeur.
Pour ma copine et moi, il est encore là. Nous avons acheté des fleurs afin de lui rendre hommage. Les parents de Selma aussi sont décédés, il y a cinq ans. Ils ont eu un accident de voiture. Eux aussi étaient très jeunes. Nous n’étions que deux à son enterrement.
La Syrie a été libérée le 19 août 2009, grâce à la solidarité des autres pays et des combattants. Sa phrase fétiche, celle léguée par son père, disait ceci :
 » Profite maintenant, pas demain car la mort n’attend pas. »
Je me suis allongée à côté de sa tombe en pleurant. Je l’appréciais tellement. Selma jeta des fleurs sur son lieu de repos éternel, puis elle lui récita un poème. Un an après sa mort, Selma est devenue avocate et poétesse. Moi, je suis devenue dentiste.
A chaque fois, je me rappelle qu’il n’avait que vingt-huit ans et que je pourrais, moi aussi, mourir à tout moment. Paix à son âme.